Le bivouac du nomade automobile


Se mettre en route le matin, sans savoir où et dans quelles conditions aura lieu le prochain bivouac. C'est tout l'art et le plaisir du nomade automobile d'aujourd'hui.


Attention, dans trois cents mètres on doit quitter la route à gauche et emprunter un chemin, probablement pas goudronné, sur deux kilomètres pour s'approcher de la rivière. Ca doit être dans cette forêt.

Merci aux créateurs d'iOverlander, cette app nous facilite la recherche de bivouacs dans les campagnes les plus retirées, mais aussi dans les villes les plus grandes. Tous les contributeurs ne sont pas les mieux inspirés, mais la possibilité de l'utiliser sans accès internet et de reprendre directement les points dans notre GPS est bien pratique. Et je l'ai aussi appréciée pour d'autres informations, comme, par exemple, quand il s'agissait de trouver un vendeur d'assurance RC pour l'auto.

Voilà, on arrive. Prend garde, on doit traverser la voie ferrée et c'est chaotique. Heureusement que le sol est sec. Les ornières révèlent une piste à éviter en cas de pluie. J'ai l'impression qu'elle devrait nous épargner la nuit prochaine.

Oh là là! Quels trous. Encore un bivouac réservé aux camping-cars tout-terrains.

Une fois de plus, je me félicite d'avoir opté pour le Toyota LandCruiser comme véhicule porteur plutôt que pour le Mercedes Sprinter. La robustesse et la capacité de franchissement plutôt que la modernité et le confort.

On est sur le point d'iO. L'eau est à une dizaine de mètres en contre-bas et la clairière semble tranquille. Personne en vue. Je sens qu'on va passer une très bonne nuit, hors de portée du bruit de la route et du train. Je sors rincer l'eau du canari et inspecter les alentours. Tu m'attends à l'intérieur?

Ferme les fenêtres! Je me suis déjà fait piquer au moins trois fois. Hop! Je retourne au véhicule sans m'attarder. Quittons les lieux sans attendre! Tu n'as pas non plus envie de bivouaquer en luttant à mort contre les moustiques?

Reprenons la route et arrêtons nous dès que possible pour chercher un autre bivouac. Il est seize heures, on a largement le temps de se trouver un endroit plus confortable.

La prochaine possibilité signalée par iO est à plus de cent-cinquante kilomètres. Essayons de trouver quelque chose sur Maps.me (l'app GPS que nous utilisons), les cartes d'OpenStreetMap (cartographie numérique fonctionnant sur le même système que Wikipédia, en particulier utilisée par Maps.me) nous ont souvent permis de dénicher de bons bivouacs.

Comme il va certainement faire chaud toute la nuit et que les endroits ombragés au bord de la rivière semblent par ici infestés de moustiques, je te suggère d'essayer de trouver un bivouac dans les collines qui apparaissent à l'Ouest. Tu vois, cette petite route blanche qui traverse notre route juste avant le prochain village. Ah ces noms! Difficiles à prononcer et encore plus compliqué à mémoriser. On essaie?

Allons-y, j'ai enregistré une épingle au point d'intersection avec la route. C'est dans douze kilomètres.

Oh là! La pente est forte et c'est caillouteux. Je te suggère d'enclencher les quatre roues motrices. Reste en deuxième, on arrive à un hameau, évitons de faire trop de poussière. Le chemin continue jusqu'à la crête. On a de la chance. Ca devrait être un peu ventilé, comme sur tous les sommets. Reste à trouver une possibilité de stationner. Arrête toi là. Je vais aller voir à pieds où ce sentier à droite conduit.

C'est parfait, il y a un replat avec un espace à côté d'une piste qui redescend de l'autre côté.

On s'installe, on ouvre toutes les fenêtres et on accroche les moustiquaires. 38°C avec de temps en temps un petit courant d'air. On ne bouge pas et on attend que le soleil, encore haut, se couche.

Tiens un gobelet d'eau du thermos.

Par ces température, on y conserve l'eau au frais. La température ne baisse pas, on coule. J'alloue un crédit d'électricité prélevée sur la batterie de la cellule pour faire fonctionner le ventilateur. On finit par gagner 2°C; mais surtout, le courant d'air qui nous passe dessus est la chose la plus agréable du moment. La lumière tourne à l'orange, il fait 32°C.

On se fait une omelette aux légumes et tant pis si ça réchauffe un peu l'habitacle.

En tenue de nuit, allongés sur les banquettes, on lit et on fait du scrabble en attendant que le ciel s'assombrisse pour installer la couchette. On espère voir des animaux. Il s'approchent facilement du véhicule. Ils ne nous sentent pas. Le silence est appréciable après une journée de ronronnement de moteur diesel. L'habitacle jouit d'une mauvaise isolation phonique. Tu as voulu un engin rustique, tu l'as.

Au moment de nous coucher on entend un moteur qui approche lentement. Est-ce pour nous? Est-ce le propriétaire des champs cultivés qui vient contrôler que nous ne fassions pas de dégât? Il est rassuré, il repart aussitôt en nous criant good night! C'est préférable aux soldats en armes qui m'ont délogé au petit matin d'un bivouac en Turquie. Je ne m'étais pas rendu compte que j'étais installé sur un terrain militaire. C'est aussi mieux que le gardien du parc automobile qui m'a réveillé à une heure et demie du matin, il y a deux jours, pour me demander le récépissé du paiement de la taxe de parcage.

Vers une heure de matin, un courant d'air carrément froid traverse l'habitacle. Je me lève pour fermer les impostes au vent. Quand la pluie survient et qu'elle tarde à nous tirer de notre sommeil, il faut parfois un peu éponger avant de se recoucher.

Excellente nuit quand même. Nous avons dormi une dizaine d'heures. Nous dormons beaucoup plus et beaucoup plus facilement qu'à la maison. C'est le signe que le voyage et toutes les émotions qu'ils procure nous fatiguent. Pour éviter les tensions à bord, les mauvaises décisions ou les baisses de moral, il importe de bien se reposer. Tous les voyageurs au long cours connaissent la règle.

Un bon café dans la napolitaine et deux tranches de pain grillé à la confiture nous mettent sur le bon pied pour la journée.

Je te laisse conduire pour descendre cette piste raide, je reprendrai le volant une fois sur la grande route…


N'importe où, le 27 juillet 2019 / Renaud Tripet

Swing Low, Sweet Chariot / Archie Shepp & Horace Parlan