Que signifient la neutralité et la souveraineté suisses?


Que signifient la neutralité et la souveraineté de la Suisse à l'heure de son évaluation du nouvel avion militaire et du nouveau système de défense aérienne qu'elle envisage d'acquérir; alors qu'elle a d'entrée de jeu écarté l'avion Soukhoï SU-57 et les batteries antiaériennes S-400 et S-500 russes?


Qu'il n'y ait pas de doute sur ma position européiste, je verrais d'un très bon oeil une Suisse opter, à l'instar de l'Allemagne, pour le système européen de combat aérien du futur (SCAF) et se doter d'une solution transitoire qui pourrait s'appeler Dassault Rafale ou Eurofighter Typhoon pour l'avion et MBDA Aster pour la défense antiaérienne. Mais la question n'est pas là. Il s'agit de procéder à une évaluation des solutions opérationnelles actuellement disponibles et répondant aux exigences fixées par le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS).

Est-ce que le Soukhoï SU-57 et les batteries S-400 et S-500 d'Almaz-Antei constituent une solution opérationnelle russe actuellement disponible et répondant aux exigences du DDPS, au même titre que les cinq autres solutions en cours d'évaluation? Le cas échéant, est-ce que la Russie aurait eu intérêt à ce que le Soukhoï SU-57 et les batteries S-400 et S-500 fassent partie de la procédure d'évaluation? Est-ce que la Suisse aurait eu intérêt à pouvoir évaluer la solution russe en plus de celles offertes par les industries de défense européenne (Dassault Rafale, Eurofighter Typhoon, Saab Gripen et MBDA Aster) ou américaine (Boeing Super Hornet, Lockeed-Martin F-35 et Raytheon Patriot)?

Les USA semblent s'opposer à la livraison d'avions Lockeed-Martin F-35 à la Turquie, si cette dernière se dote de batteries russes S-400. La Russie serait-elle moins gênée par cet assemblage? Et l'OTAN?

La Suisse n'est pas membre de l'OTAN, pour raison de neutralité; mais elle est partenaire de l'OTAN. Est-ce qu'une Turquie équipée de S-400, système de défense antiaérienne développé par une Russie non-membre de l'OTAN, peut rester membre de l'OTAN? Est-ce que la Suisse, partenaire neutre de l'OTAN, aurait pu évaluer une solution SU-57 plus S-400 ou 500? Est-ce que la réponse à ces questions appartient aux USA?

Le citoyen lambda que je suis, qui souffre d'habiter un pays, voire un continent, gangréné par le national-souverainisme, aimerait bien savoir ce que pèsent la neutralité et la souveraineté suisses au moment où l'armée suisse cherche à se doter d'une nouvelle défense aérienne.

Les pourfendeurs de l'Union européenne et des autres organismes auxquels les états-membres ont cédé un peu de leur souveraineté, se réclament en Suisse de neutralité helvétique et de souveraineté nationale. Leur idéologie est pourtant à géométrie variable. Quand il s'agit de défense militaire, ils se soumettent sans sourciller aux dictats implicites des industries d'armement européennes et américaines. On ne les entend pas. Ils vocifèrent à toutes les occasions contre les méfaits des organisations supranationales qui imposent leur réglementation et contre les sociétés multinationales qui mondialisent l'économie; mais silence radio en matière de défense militaire.

J'entends parler d'interopérabilité des systèmes de défense suisses avec l'OTAN. J'ai aussi lu que les USA craignent que les batteries S-400 qu'installeraient la Turquie ne puissent pirater au profit de la Russie les données communiquées par les avions F-35 sur l'aviation de l'OTAN. Est-ce que la Russie éprouve la même crainte dans le sens inverse? Le cas échéant, est-ce que l'OTAN n'est pas intéressée à collecter des informations sur l'aviation russe via les batteries S-400 ou 500, voire les avions SU-57 qu'utiliseraient ses membres ou ses partenaires? Toujours est-il que les USA proposent à la Turquie de lever l'embargo sur la livraison des F-35 à condition qu'elle se dote de missiles sol-air américains Patriot, et pas des S-400 russes. Plus tu connais ton adversaire, mieux tu es à même de le combattre. L'OTAN a tout intérêt à ce que d'aucuns de ses membres ou de ses partenaires utilisent de l'armement russe. La position des USA dans l'affaire des S-400 turques est un aveu de faiblesse.

J'entends aussi parler de compensation industrielle des commandes d'armement. Est-ce inimaginable dans le cadre d'un achat d'armement à la Russie? J'en doute.

On croit savoir que la Russie a développé autour de l'avion SU-57 et des batteries S-400 ou 500 un système de défense aérienne performant, mais peut-être trop onéreux pour en équiper son armée à la hauteur de ses besoins. Elle devrait donc être intéressée à le vendre à des tiers. Mais de quel oeil verrait-elle une armée suisse capable financièrement de se doter de davantage de SU-57 que l'armée russe elle-même? Cette dernière en aurait actuellement commandé une douzaine; alors que l'armée américaine prévoit de se doter de plus de deux mille F-35.

Cependant, mettre la solution russe en concurrence avec les solutions américaines et européennes est certainement de nature à exercer une pression à la baisse sur un marché de l'armement dont les coûts atteignent des sommets époustouflants.

Mais cessons de rêver, la Suisse a écarté d'entrée de jeu l'évaluation du Soukhoï SU-57 et des batteries S-400 et S-500 d'Almaz-Antei. S'agissant de sa défense militaire, la Suisse n'est ni neutre, ni souveraine.


Cernier, le 19 avril 2019 / Renaud Tripet

The Sacred War