La vague de froid nous a rattrappés

On pensait à tort avoir quitté la Suisse juste avant la vague de grand froid annoncée. Panne de cuisinière et de chauffage pour cause de diesel figé. Il nous faudra cinq jours de lutte contre le gel avant de pouvoir se chauffer notre premier repas et chauffer l'habitacle. Heureusement que l'eau n'a pas gelé.

Comme entrée en matière, difficile de faire mieux. Au premier bivouac vers Chiasso, dans une station-services de l'autoroute, la table de cuisson refuse de fonctionner. Renaud n'envisage pas de se lancer dans un périple de sept mois, dont toute la partie initiale au froid, sans cuisinière. L'Optimus (le réchaud à essence déjà utilisé en 1977 pour remonter le Nil à moto) en extérieur c'est sympa; mais il y a des limites. Tempête sous un crâne comme disait mon copain Adrien. Renaud découvre un agent Wallas, le constructeur de la table de cuisson, en Croatie. Ils sont rares sur la planète. Il lui envoie un SMS pour lui demander s'il est ouvert en plein hiver. Ces Wallas sont presque exclusivement installées dans des bateaux. C'est un équipement de marine et les chantiers navals ne sont généralement pas ouverts à cette saison. Avant de s'endormir, Fifi et Renaud conviennent qu'un retour en Suisse pour réparer est envisageable. Un autre SMS est envoyé à l'agent Wallas suisse. Une décision sera prise le lendemain au réveil. Nuit plutôt tourmentée.

Au réveil, Renaud a reçu une réponse positive de Croatie. Il est alors décidé de poursuivre. Quatre jours plus tard, nous arrivons à Sibenik où nous avons rendez-vous le lendemain avec l'agent Wallas. Il neige tout ce qu'il peut et le thermomètre descend jusqu'à dix degrés sous zéro. Le chauffage Eberspächer tombe aussi en panne. La vie à bord devient plutôt dure et Renaud gamberge toute la nuit. Continuer ou ne pas continuer? Un SMS est envoyé à Pascal Pfister d'Azalaï Suisse, pour lui demander si l'échange de la batterie au plomb contre une au lithium ne serait pas la cause des ennuis. Il passe deux semaines à ski; ce qui ne l'empêche pas de répondre aussitôt qu'il pense que non. Il suppose que ça pourrait être le diesel qui fige. Renaud essaie de débloquer le chauffage en pompant le diesel avec la pompe manuelle située sur le filtre à diesel principal. Il arrive à pousser le bouchon de diesel figé et à remettre le chauffage en marche. Mais l'électronique de la Wallas est complètement bloquée. Renaud s'en veut un peu de n'avoir pas pensé spontanément au diesel figé.

Le lendemain matin rendez-vous est pris par téléphone avec l'agent Wallas pour le début de l'après-midi. Il doit rappeler quand il a fini un autre travail urgent. Frigorifiés, il neige toujours et le thermomètre affiche -8°, Fifi et Renaud vont se réfugier dans le McDonnald's de la ville où ils trouvent, comme dans tous les McDo, du WiFi et du courant pour recharger l'ordinateur. L'agent Wallas rappelle déjà vers 11h00 pour annoncer qu'il nous cherche. Deux frères ressemblant davantage à des tueurs de série B qu'à des réparateurs de bateau arrivent dans une grosse limousine noire. Celui qui semble être le chef se hisse dans le camping-car et effectue une manipulation de spécialiste avec la commande de la Wallas. Il la débloque et, en guise de rémunération, explique à Renaud comment s'y prendre une prochaine fois. Ce jour-là on a aimé les gueules de tueurs. On reprend la route pour Dubrovnik sur la neige, avec des paquets de glace qui s'accumulent contre la carrosserie. Il faut faire des haltes pour gratter la glace des essuies-glace et du pare-brise. Un enfer blanc de toute beauté, sur une route longeant un mer déchaînée. Le spectacle est surréaliste, les seules couleurs vives sont celles des citronniers et des orangers dont les feuilles du dessus on retenu la neige pour épargner les boules jaunes et oranges. Les gens du coin nous ont d'ailleurs raconté que de telles vagues de froid et de telles tempêtes de neige n'avaient lieu que tous les quinze ans; mais bien sûr en 2018, pour notre départ en Asie.

Le moral est excellent, Renaud se demande même si Fifi ne va pas lui annoncer qu'elle poursuit le voyage avec lui, tant elle semble être dans son élément, tant elle a si bien tenu le coup durant les cinq premiers jours de route, tant elle s'est engagée à préparer toute la subsistance de bord et le matériel de ménage. On roule au chaud, on descend au Sud, on chauffe pour se lever et on cuit des repas chauds. Un matin, on se réveille même avec le soleil, sur une aire d'autoroute surplombant le mer, à l'abri du vent entre deux poids lourds. Mais ça ne durera que deux petites heures, la neige reprend. Comme la température annoncée à Athènes est nettement plus clémente, le temps aussi, nous décidons d'accélérer. Nous renonçons à rendre visite à l'ami luthier de Maryse habitant à Tirana. Nous nous échangeons des SMS pour nous excuser. Il nous comprend. Il semble charmant. Dommage.

Nous franchissons la frontière grecque par un soleil éblouissant et nous allons bivouaquer sur une petite route surplombant la mer. Pour y accéder, nous slalomons entre les chiens, les chèvres, les moutons et les vaches qui déambulent sur la route. Les premières fleurs ont éclaté. Nous avons laissé derrière nous cette foutue vague de mauvais temps. La nuit ne sera marquée que par les doux ronronnements des petits bateaux de pêcheurs allant tendre le soir des filets et retournant le matin les lever.


Chiliadou, le 2 mars 2018 / RT

Les Temps difficiles / Léo Ferré