La Berne fédérale pousse le canton de Neuchâtel à s'équiper d'une mauvaise solution ferroviaire, plus coûteuse de 146 millions de francs et moins performante que celle voulue par les autorités et la population neuchâteloises.
Je viens du canton suisse de Neuchâtel, une région d'à peine plus de 175'000 habitants qui n'a pas encore trouvé comment rebondir après la grande crise pétrolière de la fin des années septante, ou plutôt après la fin des années faciles de la reconstruction d'après guerre. Autrement dit, ce canton est encore à la recherche de sa place dans une économie qui s'est mondialisée et numérisée. Il cherche aussi comment faire face aux lourdes conséquences sur les finances publiques d'une démographie vieillissante.
Les autorités et la population neuchâteloises ont judicieusement décidé qu'une des grandes mesures à prendre pour remettre le canton dans la course était de le doter d'une mobilité plus performante. Celle-ci doit à la fois rapprocher les agglomérations les unes des autres, en particulier ses deux principales villes de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel. Elle doit aussi rapprocher le canton des autres régions de Suisse et de France voisine avec lesquelles elle développe son économie.
Après avoir construit un axe routier performant entre les villes de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel, le gros chantier de l'amélioration de la mobilité neuchâteloise consiste à relier ces deux villes au moyen d'une liaison ferroviaire rapide. L'actuelle date de la fin du XIXème siècle et ne répond plus du tout aux normes actuelles.
Deux options se présentent: la modernisation et la modification partielle du tracé actuel ou la construction d'un tracé entièrement nouveau.
Comme le financement presque total de ce chantier ferroviaire est du ressort du gouvernement fédéral, le canton de Neuchâtel se trouve en concurrence féroce avec d'autres cantons ou régions de Suisse qui ont aussi des besoins ferroviaires. Il appartient aux députés neuchâtelois aux chambres fédérales - le parlement - et aux membres de l'exécutif cantonal de défendre le projet neuchâtelois contre les appétits des autres cantons. C'est le consensus fédéral qui accouche d'une formule de répartition du gâteau financier fédéral entre les divers intéressés. Les offices de l'administration fédérale et le Conseil fédéral jouent les arbitres entre les cantons avec l'objectif de trouver un consensus qui sera approuvé par les chambres.
A partir du moment où le canton de Neuchâtel a réussi à tirer son épingle du jeu, on pourrait s'attendre à ce que la solution à la fois la moins coûteuse et la plus performante l'emporte. Que nenni! La partie n'est pas terminée, le Conseil national et le Conseil des Etats ne se sont pas encore déterminés; mais alors pourquoi l'Office fédéral des transports, le grand technocrate au service des débats politiques sur ce sujet, recommande-t-il au canton de Neuchâtel de s'équiper de la solution la plus coûteuse et la moins performante? - Mystère! C'est pourquoi je me suis fendu de cette chronique pour contribuer à ma manière à faire en sorte que la Confédération change son fusil d'épaule avant qu'il ne soit trop tard.
Montants en cause et récapitulation des arguments
KCHF
Nouvelle liaison directe (rapport fédéral EA 2030/35, p. 58) 990'000
Modernisation du tracé actuel (EA 2030/35, p. 58) -740'000
------------
Coût supplémentaire de la nouvelle liaison directe (EA 2030/35, p. 58) 250'000
Goulet de Vauseyon s/LiEN*, pas pris en compte dans EA 2030/35 -250'000
Economie d’indemnité d’exploitation de la liaison directe s/LiEN** -146'000
------------
Coût supplémentaire de la modernisation du tracé actuel s/LiEN -146'000
------------
* Groupe indépendant engagé depuis une quinzaine d'années pour une liaison ferroviaire express entre La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel.
** KCHF 8’000/an s/LiEN, actualisés sur 50 ans à 5%/an.
Autres avantages de la nouvelle liaison directe:
-> Pas de surcoût des transports publics ni d’autres inconvénients provoqués par la fermeture de la voie ferrée actuelle pendant les travaux.
-> Diminution de KCHF 1’000/an de la contribution neuchâteloise au fonds ferroviaire fédéral (FIF).
-> Rapprochement de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel pour ne former plus qu’une seule agglomération (fréquence au quart d'heure).
Inconvénient de la nouvelle liaison directe pas valorisé:
-> Dessertes de transport public routières supplémentaires par rapport à la situation actuelle.
Hypothèses:
-> Pas de renforcement immédiat de la sécurité du tunnel le plus long du tracé actuel.
-> Faire sauter le goulet de Vauseyon pour permettre les fréquences requises.
La lecture du tableau chiffré montre que la Confédération a omis de prendre en compte le goulet de Vauseyon. Celui-ci doit pourtant être nécessairement éliminé pour que les fréquences requises sur la ligne du pied du Jura et sur la ligne de La Chaux-de-Fonds - Neuchâtel puissent être atteintes. En accédant à Neuchâtel par l'Est, la nouvelle liaison directe évite le goulet de Vauseyon; ce qui rend les voies actuelles suffisantes pour la fréquence requise sur la ligne du pied du Jura. Mais le tracé actuel passe par le goulet de Vauseyon. Il nécessite la construction d'une voie supplémentaire pour permettre les fréquences requises. Et ces fréquences sont la clé de l'amélioration de la mobilité neuchâteloise pour relancer son développement économique. Il n'est donc pas question de glisser sous le tapis la question du goulet de Vauseyon si la Berne fédérale veut imposer la modernisation du tracé actuel.
Comme le montre l'analyse des coûts et celle des avantages et des inconvénients, la modernisation du tracé actuel que les autorités fédérales cherchent à imposer au canton de Neuchâtel est moins performante et elle coûte 146 millions de francs de plus que la construction de la nouvelle liaison directe voulue par le canton de Neuchâtel. Ou quand le consensus fédéral cherche à s'imposer contre la volonté des autorités et du peuple neuchâtelois avec une solution plus onéreuse et moins performante…
Merci aux autorités et à la députation neuchâteloise à Berne de se battre jusqu'au bout pour la solution la plus opportune!
Renaud Tripet, le 11 décembre 2017
Le consensus fédéral
peut coûter trop cher
What'd I Say