6'500 km en Chine sous bonne garde
Entrés au Xinjiang à Kachgar, nous sommes ressortis par le Tibet, après avoir fait halte à Lhasa et au camp de base de l'Everest. La résilience des Ouïghours et des Tibétains, deux peuples plutôt maltraités par Pékin, nous a épatés.
Depuis que nous avons quitté Bichkek, nous nous posons mille questions sur le passage de la frontière à Irkeshtam et sur les formalités qui nous attendent pour obtenir l'autorisation de rouler avec nos véhicules en Chine. C'est pour demain. Pascaline et Angelo profitent de la douceur de la fin d'après-midi pour planquer une partie de leurs appareils électroniques et leur machette en espérant que les douaniers chinois n'y verront rien. Leur gros Unimog possède des recoins et des coffres cachés. Le disque dur externe qui contient toutes leurs photos y trouvera place. On peut lire sur internet les récits de voyageurs qui ont subi des fouilles détaillées et dont les contenus des smartphones, des ordinateurs et des caméras ont donné lieu à une inspection rigoureuse au moyen de logiciels policiers. Ma récente expérience d'une fouille détaillée à la frontière russe me fait penser qu'il est vain de cacher quelque-chose. Je n'ai d'ailleurs rien à cacher.
Aussitôt les premiers contrôles chinois passés, un jeune homme souriant nous interpelle dans un anglais parfait. C'est Aji, le guide ouïghour qui nous accompagnera jusqu'à la frontière tibétaine. Muni de nos passeports, des permis de circulation ou cartes grises des véhicules et d'une autorisation obtenue par l'agence que nous avons mandatée, Aji passera d'un guichet à l'autre pendant quelque deux heures de temps. Nous n'aurons qu'à attendre et à ouvrir la porte de nos véhicule pour une inspection superficielle de l'intérieur. Pascaline et Angelo se feront saisir tous leurs couteaux, moi seulement une brique de lait entamée et deux fruits.
Les véhicules sont parqués sous douane à une centaine de kilomètres de Kachgar, leur dédouanement est prévu le lendemain. Aji nous embarque dans son taxi pour rejoindre Kachgar, dans un hôtel plutôt confortable. Nous allons manger au marché nocturne de la ville, qui ferme à 22h00. Nous nous rendrons vite compte que les chinois rentrent chez eux assez tôt et que les nuits en ville sont silencieuses. Mais nous ne sommes pas en Chine, nous sommes à la capitale ouïghoure. Les appels à la prière, les tenues et les senteurs sont musulmanes. Les femmes voilées sont cependant peu nombreuses et les familles déambulent en ville "à l'occidentale". On se sent bien et on se réjouit de passer deux jours à découvrir cette ville. La Chine est pour plus tard.
Une fois les formalités remplies, nous nous mettons en route pour un périple de 6'500 kilomètres à travers le Xinjiang et le Tibet, deux régions autonomes de Chine, dont les populations sont contrôlées d'une main de fer par Pékin. Ses ressortissants n'accèdent pas aux postes les plus élevés et les indépendants sont limités à de petites entreprises artisanales. Les rênes du pouvoir sont en mains chinoises et quand les mains manquent, des villes sont créées pour y installer des chinois venus d'ailleurs. Aji nous guidera systématiquement dans des restaurants ouïghours. Pas les hôtels, seuls les établissements tenus par des chinois ont l'autorisation d'accueillir des étrangers. D'ailleurs Aji, pour pouvoir fonctionner comme guide au Xinjiang, aura du s'inscrire au PC chinois. Et comme membre du PC, il n'est plus le bienvenu à la mosquée. Mais ça ne semble pas le déranger outre mesure. Aji apprécie la laïcité.
Nous arrivons déjà à Turpan. Le guide Jimi succède à Aji. Celui-ci n'a pas ses entrées au Tibet. Nous roulons en Chine depuis une semaine et nous nous sommes accoutumés aux multiples contrôles de police. Nous nous demandons néanmoins à quoi ils servent; d'autant plus que nous avons l'impression que les forces de police seraient mieux utilisées à s'occuper de police routière que de police des flux de personnes. Il y a déjà tellement de caméras qui nous filment.
Nous arrivons le lendemain à Hami et Angelo découvre des projections d'huile contre le pare-boue arrière gauche. Une brève inspection révèle qu'un roulement est probablement défectueux. La matinée du lendemain se passera chez un garagiste et à l'agence Mercedes de la ville. Il s'avère qu'une pièce complexe doit être remplacée; mais qu'elle doit être commandée en Europe. C'est le pépin que craignent tous les voyageurs avec leur propre véhicule. Mais être immobilisé une dizaine de jours, au mieux, en Chine, sans autre liberté de mouvement qu'à l'intérieur du hall d'entrée de l'hôtel et dans sa chambre; ça tient de l'emprisonnement. Comme Catherine doit prendre un avion à Katmandou pour reprendre son travail, nous décidons de poursuivre le voyage avec le guide Jimi, conformément au programme établi. J'aurai tout le temps d'attendre Pascaline et Angelo à Katmandou. Nous ne devons embarquer à Mumbai pour l'Afrique du Sud qu'à fin novembre. Quelques jours plus tard, je reçois un courriel de Pascaline et d'Angelo m'annonçant qu'ils renoncent à me rejoindre au Népal. Ils ont décidé de rentrer en France par le plus court chemin, une fois le roulement remplacé. Ils n'ont plus confiance dans la mécanique de leur Unimog, il est vrai plus tout jeune et, je crois, ils ont perdu l'envie, l'énergie et le moral nécessaires pour accomplir le voyage qui devait nous faire rentrer en Europe en remontant l'Afrique du Sud au Nord. Je décide de poursuivre l'aventure seul. Je rencontrerai à Lhassa Irene et Uvo qui ont connu une même mésaventure en Chine. Ils ont prévu de parquer leur véhicule à Katmandou et de rentrer trois ou quatre mois à la maison pour recharger les batteries, avant de reprendre la route. Je ne sais pas comment je réagirai quand la tuile me tombera dessus. J'espère bien entendu jamais.
Je passe sur l'itinéraire détaillé de notre voyage chinois et sur la description des points touristiques. Ils peuvent être consultés sur mon site internet (itinéraire / positions et journal). S'agissant des hôtels, n'ayant pas obtenu l'autorisation de dormir dans le camping-car, on a l'impression que les chambres ont toutes été meublées avec le même mobilier. Les salles à manger sont généralement spacieuses, équipées de grandes tables rondes et d'un plateau central tournant pour passer les plats. En dehors des grandes villes, la cuisine est limitée et s'écarte rarement du poulet et du riz, plus ou moins épicés. Le matin, des momos nature ou farcis et de la soupe de riz sucrée font l'affaire. Après quelques jours je n'avais tout simplement plus faim. Je devais me forcer d'avaler un minimum, pour supporter l'étape du jour qui ne donnait lieu à aucun repas à midi. Nous avons fait un sort à la réserve de biscottes et de chocolat. Pour la boisson en cours de route, nous buvions de l'eau en bouteille rafraîchie dans le réfrigérateur.
Nous avons visité de multiples grottes décorées par les premiers bouddhistes venus d'Inde, installés dans l'actuelle Chine après avoir franchi l'Himalaya. Toutes ont été complètement saccagées par les islamistes. Quelle religion n'a pas cherché à s'imposer en tuant et en saccageant tous les signes et symboles de la religion des battus? Ces grottes attirent les touristes en masse; mais il n'y a plus grand chose à voir et la muséographie est très sommaire. En revanche, comme pour les sites touristiques naturels, tout est très, voire trop, organisé pour accueillir, et contrôler, des foules de visiteurs, presque exclusivement chinois. Ce sera plus intéressant au Tibet où les monastères, les temples et les stupas ont été préservés ou restaurés. Notre guide Jimi étant un bouddhiste pratiquant, nous aurons droit à des explications détaillées sur les différents bouddhas, du passé, du présent et du futur, de protection ou de compassion et sur les diverses pratiques bouddhistes. Nous en retiendrons une, celle des morts. Les adultes tibétains décédés sont déposés dans des endroits réservés où les corps sont découpés et livrés aux charognards sauvages. L'idée est de favoriser la réincarnation, à laquelle croient les bouddhistes, dans un autre être vivant, animal ou végétal. Les enfants morts sont confiés aux rivières, pour faciliter une réincarnation plus rapide. Jimi dixit. On est proche des pratiques des indiens d'Amérique; Jimi semblait d'ailleurs parfaitement informé sur cette ressemblance.
Mais revenons aux questions chinoises, le chapitre spécifiquement tibétain donnera lieu à la deuxième chronique de ce périple.
Si la conduite sur les routes chinoises ne pose pas de difficulté particulière, il convient quand même de prendre garde en ville aux innombrables scooters et tricycles, tous surchargés de marchandises ou de personnes, qui surgissent de partout, en particulier aux carrefours. Ils ne possèdent d'ailleurs pas d'éclairage; ce qui rend les chose un peu compliquées de nuit; d'autant plus que les publicités éblouissantes sont surabondantes. Par contre, cette fourmilière de véhicules est électrique. Les villes sont donc silencieuses; mais attention en marchant, on n'entend pas toujours la sonnette d'avertissement. S'agissant des poids lourds, nous avons constaté que, sur les grands axes, les véhicules étaient en bon état et que les chauffeurs étaient très professionnels; ce qui changent favorablement d'autres pays d'Amérique du Sud ou d'Asie où j'ai voyagé, exception faite de la Russie.
Les routes sont en bon état ou en voie de réfection, voire de construction de nouvelle autoroute. C'est notamment le cas des axes Pékin - Lhassa et Shanghaï - Katmandou que nous avons parcourus. Actuellement la circulation est rendue très difficile par le nombre impressionnant de camions; mais les chantiers des nouveaux autoroutes sont à la hauteur de l'enjeu. S'ajoute d'ailleurs l'amélioration de la voir ferrée sur les mêmes axes. C'est impressionnant. Les chinois veulent disposer de voies de communication efficaces et ils s'en donnent les moyens, même en franchissant des cols pouvant dépasser les 5000 mètres d'altitude et en traçant des milliers de kilomètres à plus de 4000 mètres.
On ne peut pas non plus quitter la Chine sans relever la gentillesse et l'amabilité de sa population, ouïghoure, tibétaine ou chinoise. Tous ont un téléphone portable, le plus souvent un smartphone et ils connaissent très bien l'usage des apps de traduction. Ce foutu appareil a aussi grandement facilité la communication entre des populations ne parlant aucune langue commune, même pas l'anglais. J'ai aussi été frappé de constater que le paiement par téléphone est quasiment généralisé en Chine. La moindre petite échoppe possède collé à sa porte un pictogramme que les clients numérisent avec leur smartphone pour payer un kilogramme de patates, un sac de riz ou une sucette pour leur enfant. C'est généralisé. La Chine a passé des espèces sonnantes et trébuchantes à la monnaie numérique, sans passer par la monnaie plastique. Quand je pense à l'étonnement que je soulève encore en Suisse quand je propose de payer avec ma carte de crédit numérique. D'ailleurs ma banque cantonale n'en propose pas encore. J'ai du m'en procurer une en Allemagne. En outre, payer en photographiant un pictogramme affiché dans le magasin. Encore jamais vu dans le pays des banques; alors qu'en Chine et en Inde, c'est monnaie courante. Ah! C'est vrai, la sécurité! La Suisse avait déjà essayé d'introduire un système de courriel plus sûr que celui se contentant d'une @ et d'un point séparant trois ou quatre éléments d'adresse. Ca n'a pas duré longtemps. Ca s'appelait, sauf erreur, X.400 et on l'a presque tous oublié. Avec les paiements numérique, bis repetita. Les banques suisses essaient d'imposer le système Twint qui ne présente que des inconvénients, un terminal ad hoc en plus des terminaux habituels de carte de crédit et qui, surtout, ne fonctionne qu'en Suisse. La Suisse a les moyens de ses délires sécuritaires; ce qui ne l'empêche pas d'être aussi souvent victime des escrocs numériques que le reste de la planète.
Katmandou, le 27 septembre 2019 / Renaud Tripet
P.S. Ma banque m'a informé aujourd'hui, le 18 octobre 2019, que je pouvais dorénavant utiliser ma carte de crédit habituelle aussi pour payer avec mon smartphone. Je ne donne pas longtemps à Twint pour tomber aux oubliettes.
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