Déambulation soviétique
Les villes de l'ancienne Union Soviétique se modernisent à grands pas, tout en conservant les édifices et les monuments les plus intéressants du passés. Les aménagements piétonniers sont souvent très réussis et très courus.
Nous nous levons déjà vers sept heures pour aller marcher en ville avant les heures les plus chaudes de la journée. A Kiev et à Saratov c'est aussi la canicule. Pourquoi Kiev et Saratov? - Parce-que ce sont les deux villes qui m'ont inspiré cette chronique. Mais ça aurait pu être d'autres comme Kazan, Krasnoïarsk ou Moscou. Nous avons en ville nos petites habitudes, nous commençons notre périple par les halles. Il convient d'y passer avant midi. Premier constat, les halles sont proches du centre-ville, nombreux sont ceux qui s'y rendent à pieds. Ils repartent avec un sachet en plastic rempli des achats du jour. Ils y retourneront le lendemain si nécessaire. Le marché est ouvert sept jours sur sept.
La température est encore agréable et des gens de tous âges occupent en petits groupes les bancs des jardins publics pour faire la conversation. Ils regardent les plus sportifs, aussi les plus jeunes, courir un peu pour leur santé. Une fois le marché visité, nous faisons un petit itinéraire qui relie les deux ou trois curiosités que nous voulons voir. On se rend compte qu'entre les zones piétonnes, les espaces verts piétonniers, les cheminements pédestres de liaison et les larges trottoirs, l'abondante circulation automobile est toujours à une distance confortable des marcheurs. On comprend alors pourquoi les parents laissent leurs enfants prendre le large à trottinette ou à bicyclette. Les plus âgés semblent tout aussi à l'aise sur leur gyroroue (mono-roue électrique). Et quand il s'agit de traverser une route. Les passages pour piétons sont largement dimensionnés et les automobilistes cèdent le passage aussitôt que le feu ouvre la voie aux piétons ou que ces derniers manifestent l'intention de traverser sur un passage protégé sans feu. Le piéton est roi. Les piétons sont nombreux. Notre seul apprentissage: prendre garde aux inégalités du sol et aux endroit où l'eau de la dernière pluie ne s'est pas encore infiltrée ou évaporée. Escaliers, bordures et carreaux de trottoirs, plans inclinés pour chaise roulante, mais aussi, en cas de pluie, descentes de toit arrivant directement sur la chaussée, mieux vaut avoir l'oeil ouvert. Avec le temps et aussi longtemps qu'on ne s'est pas méchamment tordu un pied, ce délabrement, en cour de disparition, donne même du caractère aux rues.
Avant ou après les heures les plus chaudes, des vagues de piétons s'étirent à Saratov entre les halles et les rives du Danube qu'une vaste zone piétonne relient. A Kiev, ses vagues, semblables à celles qui se déversent à la sortie d'un stade ou d'une salle de concert, se déploient sur les innombrables cheminements qui relient les quais du Dniepr aux divers monuments, musées ou édifices religieux les plus courus. Les vacances et le week-end expliquent sans doute cette foule; mais pas seulement. Assis à siroter une bière, nous voyons des personnes d'un certain âge passer à deux ou trois reprises. Ce sont très certainement des habitants du quartier qui prennent l'air en faisant un peu d'exercice. Ils se mêlent à une foule conviviale et décontractée. Même les musiciens de rue ont le bon goût de jouer une musique pas ou peu amplifiée; ce qui ne les empêchent pas de remplir leur chapeau ou l'étui de leur instrument.
En arrivant sur les quais de Kiev, les buvettes avec terrasses se succèdent, toute remplies d'une clientèle plutôt de l'âge de nos enfants. L'odeur acre des narguilés rappellent que l'Orient n'est pas loin. A Saratov, les peaux commencent à foncer et les yeux à se brider. Les dames déambulent dans des toilettes très diverses, souvent confectionnées ou retouchées à la maison. Avec cette chaleur, la tête, les bras et les jambes sont dans la plupart des cas dénudés aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En train de siroter notre bière en terrasse, nous assistons à un défilé.
L'app Santé de notre smartphone nous apprend que, sans en avoir l'air, nous avons dépassé 20'000 pas. On refait mentalement le parcours et on s'ébahit de la qualité des aménagements offerts aux piétons et, surtout, du grand nombre de piétons. Je ne sais pas si déambuler en foule, si aménager les villes si judicieusement pour la parcourir à pieds est une spécialité héritée de l'ère soviétique. Je sais seulement que nous avons eu un immense plaisir à nous laisser emmener par les foules citadines de Kiev et de Saratov dans les promenades et les zones piétonnes de leur ville. Nous nous remémorons nos parents et nos grands-parents nous racontant la fréquentation disparue du Pod de La Chaux-de-Fonds ou de la Place du Port de Neuchâtel.
Saratov, le 20 juillet 2019 / Renaud Tripet
La Strada (extrait) / Nino Rota