Six minutes de poésie pour conduire

un peuple vers la réconciliation

L'histoire se souviendra des six minutes de poésie d'Amanda Gorman comme elle a inscrit dans sa mémoire le rêve de Martin Luther King. Quel prêtre, quel chef d'état, quel général, quel tribun est capable de faire l'unanimité sur la démocratie et la réconciliation en six petites minutes?


Le New York Times a enregistré l'intervention d'Amanda Gorman, invitée par Jill Biden à l'investiture de son mari Joe comme 47ème président des Etat Unis d'Amérique. Madame la first Lady of the USA, vous ne pouviez pas mieux marquer le 20 janvier 2021, le premier jour de la présidence de Joe Biden.












(Crédit: Pool / Getty Image North America AFP)

(Washington, le 20 janvier 2021 / New York Times)

France Culture a pertinemment relayé l'événement. Il n'y a rien à ajouter. J'ai décidé de publier la vidéo du New York Times et l'article de France Culture pour exprimer mon adhésion aux valeurs défendues par Amanda Gorman dans son The Hill We Climb, partiellement réécrit suite à l'assaut du Capitole de Washington du 6 janvier 2021.

"Amanda Gorman, 22 ans, été choisie pour composer et réciter un poème sur l'unité nationale lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden à la présidence des États-Unis, ce mercredi 20 janvier. C'est la plus jeune poétesse jamais invitée à cette cérémonie dans l'histoire du pays.

"When day comes we ask ourselves, / where can we find light in this never-ending shade? / The loss we carry, / a sea we must wade": c'est par ces mots que commence le poème lu par Amanda Gorman, la plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d'investiture dans l'histoire des États-Unis. Originaire de Los Angeles, elle a été choisie par Joe Biden pour composer et réciter un poème lors de sa prise de fonction à la Maison Blanche, ce mercredi 20 janvier. Selon la presse américaine, la Première Dame, Jill Biden, apprécie beaucoup le travail de cette poétesse de 22 ans, originaire de Los Angeles, et a convaincu le comité chargé de la cérémonie d'investiture de la choisir. Cette tradition démocrate du poète inaugural remonte à l'investiture du président John Fitzgerald Kennedy: le 20 janvier 1961, le poète Robert Frost avait alors récité The Gift Outright. En 2009, Barack Obama avait par exemple choisi Elizabeth Alexander, qui avait récité Praise Song for the Day pour sa première cérémonie d'investiture. Le poème lu par Amanda Gorman pour l'investiture du 46e président des États-Unis, est intitulé The Hill We Climb (La colline que nous gravissons), et aborde le thème de l'unité nationale.

Un poème sur l'unité nationale

Selon le New York Times, le comité d'organisation de la cérémonie d'investiture de Joe Biden a contacté Amanda Gorman à la fin du mois dernier. Elle a appris à ce moment-là que Jill Biden avait vu, à la Bibliothèque du Congrès en 2017, une lecture de son poème In This Place: An American Lyric, dans lequel la jeune poétesse condamne la marche raciste de Charlottesville en Virginie. La future Première Dame avait alors suggéré que la poétesse lise un poème lors de l'investiture. Aucune consigne ne lui a été donnée, mais elle a été encouragée à insister sur l'unité et l'espoir. "Gorman a commencé le processus, comme elle le fait toujours, avec des recherches. Elle s'est inspirée des discours des leaders américains qui ont essayé de rassembler les citoyens pendant des périodes de division intense, comme Abraham Lincoln et Martin Luther King. Elle a également parlé à deux des précédents "poètes inauguraux", (Richard) Blanco et (Elizabeth) Alexander", affirme le New York Times.

Le poème d'Amanda Gorman fait référence au quartier de Washington, Capitol Hill, où se situe le siège du Congrès américain. Selon le New York Times, la poétesse de 22 ans était arrivée environ à la moitié de son poème lors que les militants pro-Trump ont envahi le Capitole: elle est restée éveillée cette nuit-là et a ajouté des vers au poème pour décrire ces scènes apocalyptiques qui ont ébranlé les États-Unis.

"We’ve seen a force that would shatter our nation rather than share it / Would destroy our country if it meant delaying democracy / And this effort very nearly succeeded / But while democracy can be periodically delayed, / It can never be permanently defeated / In this truth, in this faith we trust.".

("Nous avons vu une force qui détruirait notre nation plutôt que de la partager / Détruirait notre pays si cela veut dire retarder la démocratie / Et cet effort était à deux doigts de réussir / Mais pendant que la démocratie peut être ponctuellement retardée / Elle ne peut être vaincue de façon définitive / Nous croyons en cette vérité, en cette foi"), écrit Amanda Gorman dans cet extrait du poème dévoilé par le New York Times, avant l'investiture.

Dans The Hill We Climb, Amanda Gorman évoque son parcours, qui fait écho à celui de Kamala Harris, devenue la première femme à accéder au poste de vice- présidente des États-Unis. "We the successors of a country and a time / Where a skinny Black girl / descended from slaves and raised by a single mother / can dream of becoming president / only to find herself reciting for one" ("Nous les héritiers d'un pays et d'une époque / où une fille noire maigre / descendante des esclaves et élevée par une mère célibataire / peut rêver de devenir présidente / seulement parce qu'elle se retrouve à réciter pour l'un d'eux"), a déclaré Amanda Gorman à travers son poème.

Contrairement à ses prédécesseurs, la jeune poétesse a dû relever un défi de taille: composer un poème qui appelle à l'unité et à l'espoir, alors que les Américains sont plus divisés que jamais au sortir de la présidence de Donald Trump. Son poème reflète donc cette Amérique "en désordre". "Je dois reconnaître cela dans le poème. Je ne peux pas l’ignorer ou l’effacer. Et donc, j’ai élaboré un poème inaugural qui reconnaît ces cicatrices et ces blessures. J’espère qu’il nous fera progresser vers leur guérison", a confié Amanda Gorman au Los Angeles Times.

Selon le journal Los Angeles Times, la jeune poétesse a écouté de la musique pour l'aider à composer son poème et avoir un "état d'esprit historique et épique", avec notamment les bandes originales des séries The Crown, Lincoln, Darkest Hour et Hamilton. Lors de la cérémonie d'investiture, Amanda Gorman a lu son poème pendant six minutes, d'une voix assurée alors qu'elle savait que des millions d'Américains avaient les yeux rivés sur elle et son message.

"We are striving to forge a union with purpose / To compose a country committed to all cultures, colors, characters and / conditions of man / And so we lift our gazes not to what / stands between us / but what stands before us / We close the divide because we know, to put our future first, / we must first put our differences aside / We lay down our arms / so we can reach out our arms / to one another" ("Nous nous battons pour forger une union avec un but / Pour composer un pays engagé dans toutes les cultures, couleurs, personnages et / conditions de l'homme / Et nous levons nos regards non pas vers / ce qui se tient entre nous / mais vers ce qui se tient face à nous / Nous mettons fin au clivage parce que nous savons, mettre notre futur en premier, / nous devons mettre nos différences de côté / Nous déposons nos armes / pour atteindre nos bras / et en former un autre"), invite Amanda Gorman dans The Hill We Climb.

Une étoile montante de la poésie

Amanda Gorman est tombée amoureuse des mots et de la poésie quand elle était petite. Elle grandit à Los Angeles, élevée avec sa soeur jumelle par sa mère célibataire, qui enseigne l'anglais au collège. Elle écrit dans des journaux dans la cour de récréation. À l'âge de 16 ans, elle remporte le concours des jeunes poètes de Los Angeles. En 2017, alors qu'elle étudie la sociologie à l'université d'Harvard, elle devient lauréate du premier concours national des jeunes poètes: c'est la première personne à détenir ce titre.

Depuis cette période, Amanda Gorman a acquis une certaine notoriété et a été conviée par des personnalités comme Lin-Manuel Miranda, Al Gore ou encore Hillary Clinton. Elle a également récité des poèmes lors des célébrations du Jour de l'Indépendance ou lors de l'investiture du nouveau président de l'université d'Harvard en octobre 2018.

Amanda Gorman est une poétesse militante, qui s'inspire de la société américaine. Elle a par exemple composé We the People pour décrire le choc qu'elle a ressenti après l'élection de Donald Trump. Elle a écrit We Rise, en écoutant le témoignage de Christine Blasey Ford, la psychologue qui a accusé Brett Kavanaugh d'agression sexuelle, alors qu'il était candidat à la Cour suprême des États-Unis. L'année dernière, elle s'est inspirée de la crise sanitaire pour écrire The Miracle of Morning, poème dans lequel elle tente d'insuffler de l'espoir : "In this chaos, we will discover clarity. / In suffering, we must find solidarity" ("Dans ce chaos, nous découvrirons la clarté / Dans la souffrance, nous trouverons la solidarité").

En février 2020, la poétesse a été sollicitée par Nike pour rédiger une tribune en faveur des athlètes noirs.

Consciente du succès des messages qu'elle véhicule dans ses poèmes, Amanda Gorman a déjà beaucoup d'ambition. Dans une interview au New York Times en 2017, elle ne cachait d'ailleurs pas qu'elle avait la Maison Blanche dans le viseur. "C'est un objectif très lointain, mais en 2036, je présenterai ma candidature pour devenir présidente des États-Unis", affirmait la poétesse. Avant d'ajouter, à l'intention du journaliste : "Vous pouvez ajouter cela à votre calendrier iCloud". (France Culture, le 20 janvier 2021)


Cernier, le 23 janvier 2021 / Renaud Tripet