S'envoyer en l'air


L'homme a toujours rêvé de s'envoyer en l'air, sur terre et jusque dans l'espace le plus lointain. Et il a bien raison de continuer; il est encore loin de réaliser ses fantasmes les plus audacieux.

C'est une visite pleine d'émotion et d'enthousiasme qui nous attendait au Kennedy Space Center, en Floride, une des principales bases spatiales des Etats-Unis. La mise en scène et l'organisation ont certes été conçues pour faire battre le coeur de la nation, elle s'y rend d'ailleurs en masse; mais elles sont surtout à la hauteur des prouesses humaines, scientifiques et techniques présentées.

La conquête de l'espace irrite les pourfendeurs des objectifs militaires qu'elle poursuit, les budgets de la NASA font grincer les dents des grippe-sous et des politicards du court terme; mais ils ne l'empêche heureusement pas d'être, notamment avec la Station Spatiale Internationale (ISS), une des plus belles plateformes de la collaboration humaine en matières astronomique, chimique, physique et écologique.

A l'instar de la plupart des grands organismes internationaux (CERN, ESO, Hubble, ISS), la NASA tient ses découvertes et ses développements à disposition des communautés scientifique et industrielle. Cette ouverture transparente et cette nécessité de partager sont l'essence même de l'esprit scientifique, plus importante que toutes les approches ou méthodes enseignées. Les projets les plus ambitieux connaissent toujours les tensions entre, d'une part, le culte du secret qui anime le pouvoir politique et les coureurs de profits et, d'autre part, les scientifiques les plus éminents qui savent combien l'humanité prend des risques à limiter l'accès à ses découvertes à une partie du monde seulement.

Le transfert scientifique et technique passe par une collaboration étroite entre les instituts de recherche, les universités et les entreprises commerciales. Alors que la NASA se concentre sur la découverte de Mars, la poursuite de l'exploration de l'espace terrestre et de la lune est dorénavant confiée à des entreprises commerciales comme Boeing, SpaceX ou encore Virgin Galactic. Il y a un parallèle à tirer avec les transferts scientifiques et technologiques qui passent des instituts de recherche fondamentale, généralement étatiques, aux laboratoires de recherche appliquée des entreprises privées. Outre l'avantage de faire au mieux profiter la société dite civile des fruits de la recherche fondamentale, ces transferts engendre une collaboration publique-privée bienvenue, aussi bien dans la recherche fondamentale que dans la transposition de ses résultats en projets économiques et sociaux. Quant à l'indépendance académique revendiquée par certains mandarins universitaires, elle n'a d'égal que leurs arrogantes doléances quand la société civile ne les écoute pas ou ne les finance pas suffisamment. Mais les meilleures universités se sont défaites depuis longtemps de leurs mandarins…

La recherche fondamentale peut parfois être qualifiée d'aléatoire dans le sens où elle ne sait pas toujours sur quelle découverte pratique ou sociale elle va déboucher. Cependant, il convient de constater que la portée de ses débouchés est la plupart du temps beaucoup plus durable que celle de la recherche appliquée. Cette différence par nature est au centre de la division des tâches entre secteurs public et privé. On ne peut pas demander aux entreprises privées, même pas aux plus grandes, de prendre les plus grands paris sur l'avenir de la recherche scientifique de base. Qu'elles y contribuent par leurs impôts et par leurs donations est la bonne manière. Leurs budgets ordinaires d'investissements doivent être dûment réservés aux développements technologiques et à la conversion vers de nouveaux produits; faute de quoi la fin de vie technique qui touche tous les produits les amènera à glisser la clé sous le paillasson.

S'agissant de l'horizon des projets de la NASA qui porte sur plusieurs dizaines d'années, on peut l'illustrer par la longue durée de vie des solutions techniques mises en oeuvre. Un exemple intéressant est celui de la nouvelle fusée SLS (Space Lauch System) en cours de développement. En simplifiant à outrance, mais c'est ainsi que la NASA le présente, son corps central est formé d'un réservoir auxiliaire de navette spatiale allongé. Celui-ci se verra renforcé, pour s'arracher à la gravitation terrestre, de deux boosters (fusées d'appoint) comme ceux de l'ancienne navette spatiale, mais plus puissants, et, les moteurs principaux de la fusée seront les célèbres RS-25 qui équipaient déjà la fusée Saturne V de la conquête de la Lune, mais rendus encore plus efficients. Ce moteur RS-25 qui a propulsé en 1969 Neil Armstrong sur la Lune, il y a quarante-cinq ans, est encore celui qui enverra en l'air les premiers hommes à marcher sur Mars. Qui dit mieux en matière de durée de vie technique dans une technologie d'avant-garde?


Kennedy Space Center, le 26 avril 2016 / RT

Photos: à gauche: la combinaison couverte de poussière de lune de Neil Armstrong, au centre: les moteurs RS-25 de Saturne V et à droite: la fusée SLS.

Musique: Humain à l'Eau, Stromae