Qui veut de l'eau?

Du ciel, des falaises, du sol ou de l'océan, l'eau jaillit abondamment de toute part. Elle grignote les côtes, elle ravine les coteaux et elle creuse les pistes; mais elle abrite une faune nourricière, elle se transforme en énergie et ses chutes attirent le touriste. L'Islande en regorge.

J'ai appris que mon pays était un château d'eau, même si les plus attentifs relèvent depuis quelques années que les réserves sont menacées de diminutions qualitative et quantitative. Les producteurs d'hydroélectricité observent le phénomène et les hydrogéologues constatent l'amoindrissement et la pollution des nappes phréatiques.

La surabondance de l'eau et une population peu nombreuse, mais aussi un climat rendant toute agriculture intensive et à grande échelle impossible, préservent la qualité de l'eau islandaise. La durabilité de son imposant débit actuel est une autre question. Les glaciers reculent à des vitesses record. Réchauffement climatiques? -Sans doute; mais probablement pas d'origine islandaise et, dans tous les cas, pas insupportable. La température atteint ces temps dans mon pays presque 30°C aux heures les plus chaudes; alors qu'ici elle reste en-dessous de 10°C. Cependant, la calotte arctique voisine se rétrécit dramatiquement. Il y a un an, nous passions la nuit au bord de la Mer de Beaufort par 28°C. Ca chauffe donc indubitablement, quand bien même les campeurs d'ĺsafjörður peinent aujourd'hui à se réchauffer. Les tentes cachent des grasses matinées dans le sac de couchage et les voyageurs en camping-car chauffés - comme nous - font des envieux.

Mais revenons à l'eau d'Islande. Il est pratiquement impossible de lever les yeux sans apercevoir plusieurs cascades dans son champ visuel. Et quand elle ne chute pas, elle coule en creusant ses lits où elle veut, en s'étalant en delta aussitôt que la terre s'aplatit. C'est elle qui choisit son itinéraire, elle a la force de s'imposer. L'homme essaie localement de la conduire, de la canaliser, de la chevaucher; mais à être trop contrariée, elle ne tarde pas à défaire les lits et les tuyaux imposés et à emporter les ponts trop audacieux. Les pistes s'ouvrent à la circulation quand elle veut bien se calmer et se laisser traverser. Ca ne dure parfois qu'un temps et tant pis pour ceux qui sont arrivés trop tard.

La géothermie et l'eau représentent une telle ressource énergétique en Islande que le vent, tout aussi abondant, n'est pratiquement pas exploité. Ce n'est pas nécessaire, la totalité des besoins énergétiques immobiles du pays sont aujourd'hui couverts par la géothermie et l'eau. Alors pourquoi voit-on si peu de véhicules électriques? La production d'électricité géothermique ou hydraulique ne devrait-elle pas conduire le pays à se convertir massivement à l'automobile électrique? Il s'avère que c'est davantage par nécessité économique, lors de la crise pétrolière des années septante, que par conviction écologique que l'Islande s'est convertie aux énergies renouvelables. A la différence des mégalopoles continentales qui s'asphyxient à force de rejeter des gaz polluants et des particules nocives ainsi que de l'agriculture intensive qui les nourrissent en polluant l'eau, les sols et l'air, la faible activité humaine ne porte en proportion que peu atteinte à l'environnement en Islande. La transition énergétique de l'automobile sur l'île attendra. Comme la plupart des révolutions écologiques, ce sont les grandes agglomérations humaines continentales qui les initieront.

En attendant, les touristes citadins du monde entier peuvent continuer à s'émerveiller des paysages islandais où la sauvagerie des éléments naturels et l'immensité des espaces vierges les plongent dans une ambiance propice à l'humilité et à la réflexion sur les rapports de l'homme à la nature. La vie est dure en Islande et, en dehors des sentiers balisés et des passages tracés par les moutons, le marcheur se rend vite compte que la toundra islandaise ne se laisse par facilement pénétrer. Les vallées couvertes de rochers tordent les chevilles, les champs de lave cachent des trous comme les crevasses des glaciers, les plateaux marécageux mouillent les pieds et les torrents ne se laissent pas toujours traverser à sec. Et quand on croit avoir trouvé un passage, c'est aux sternes de nous piquer dessus comme des avions de chasse pour nous écarter, à juste titre, de leurs nids. S'ajoute un vent froid et humide qui ne s'arrête pas. Le marcheur avance quand même et il tombe soudainement sur un jeune couple de paysans revenu à l'agriculture et à la pêche après la grande crise financière des années quatre-vingt. Elle et lui ont fait fi des histoires tragiques et des peines narrées par leurs grands-parents. Ils n'ont pas non plus voulu émigrer en Amérique. Ils croient en l'avenir de modèles économiques ou l'agriculture et la pêche sont principalement valorisées par la vente directe et par l'agro-tourisme. Ils défendent une idée intéressante du développement rural de l'Islande, ils sont connectés à internet pour connaître le monde et pour se faire connaître. Ils nous accueillent admirablement, leur vieux bain thermal vaut toutes les cures du monde et ils savent raconter les sagas vikings comme les anciens.


ĺsafjörður, le 17 juin 2017 / Renaud Tripet


Before And After The Storm