Tak Taku, une halte incontournable sur la route d'Ispahan.

Gamin il y a une trentaine d'années, il a vu passer un cycliste lourdement chargé qui ne venait pas du village. Il lui a offert à boire et il lui a proposé de se reposer chez son grand-père où il vivait. Les voyageurs qu'il accueille aujourd'hui chez lui repartent bouleversés par son art de l'hospitalité.

Les portes d'Iran sont traditionnellement dotées de deux heurtoirs de formes et de sons distincts. L'un fait "tak" et l'autre "taku", l'un annonce l'arrivée d'un homme, l'autre d'une femme, sans surprise pour la personne ouvrant la porte. A celle de la maison d'hôtes Tak Taku de Toudeshk (www.taktaku.com), Mohammad Jalali a fixé deux marteaux.

Il en vit quelques autres de cyclistes passer au village de Toudeshk assoiffés. Partis le matin d'Ispahan, ils avaient déjà une soixantaine de kilomètres dans les jambes, une bonne étape sur la route de la soie, surtout les jours de grande chaleur ou de fort vent. Et à chaque fois Mohammad de leur offrir un rafraîchissement et le repos chez son grand-père. Ce-dernier et ses parents auraient bien voulu qu'il s'intéresse davantage à ses devoir scolaires et, avec le temps, à son avenir professionnel; mais Mohammad préférait se régaler des histoires des cyclistes de passage. Il apprit à leur contact quelques mots d'allemand, d'anglais et de français. Il les faisait parler et il les regardait.

Quelques années passèrent et des voyageurs se firent conduire en taxi à Toudeshk pour rencontrer Mohammad, en plus des cyclotouristes qui s'étaient donné le mot. La maison du grand-père n'arrivait pas toujours à répondre à l'hospitalité de Mohammad. Et quand le guide Lonely Planet a recommandé à ses lecteurs de faire halte à Toudeshk, ça faisait un peu beaucoup pour le grand-père et les parents Jalali. C'est qu'au lieu de poursuivre ses études et d'apprendre un métier, celui-ci avait plutôt développé peu à peu son affaire. Le téléphone, un art inné de l'organisation et de la mise en réseau, une bonne compréhension des besoins et des attentes de ces touristes occidentaux ont conduit notre Mohammad a créé sa start-up touristique sans en avoir l'air. Hébergement, transport, visites guidées, conseils touristiques. Il a tout appris sur la terre battue de son village et en écoutant la radio et ses visiteurs.

Un jour, il reçoit un téléphone d'une australienne déjà d'un certain âge qui lui demande s'il peut venir la chercher à l'aéroport d'Ispahan, elle et son mari, et les héberger pour deux nuits. Il n'a point d'automobile et encore moins de chambre à coucher à proposer. Les gens de passage campent dans la maison du grand-père et Mohammad ne peut que téléphoner à ses copains chauffeurs de taxi quand il faut organiser un transport. Mais la dame et son mari sont à l'aéroport et Mohammad pressent qu'il doit répondre à leur demande. Alors il convainc un ami qui a une voiture de l'emmener chercher les australiens à l'aéroport et ses parents acceptent de céder leur chambre à coucher. Et on mangera tous en famille, parterre comme d'habitude, avec les autres voyageurs qui seront de passage.

Le matin du départ, l'australienne demande à Mohammad si elle et son mari peuvent prolonger leur séjour de deux jours. La famille Jalali se débrouille. Elle lui demande aussi s'il veut bien lui parler un peu de sa petite affaire et comment il entend ou espère la développer. Mohammad l'emmène voir un ancien petit caravansérail en adobe, pas loin de chez lui, autrefois occupé par un fermier et à l'abandon depuis plusieurs années. Il lui raconte en détail son rêve de racheter cette ruine et d'y aménager ce qu'on appelle aujourd'hui une maison d'hôtes. Il lui fait comprendre qu'il pense ne jamais avoir les moyens de réaliser son projet. Le couple australien s'est rendu de lui-même compte que la famille paysanne Jalali ne vivait que du stricte nécessaire.

Le soir venu, Mohammad organise le retour des australiens à l'aéroport d'Ispahan, en les raccompagnant. Au moment de se quitter, la dame australienne lui donne une enveloppe en lui expliquant que c'est en remerciement de sa peine. Tous ceux qui ont été hébergés par Mohammad et sa famille ont compris qu'ils ne pouvaient pas s'en aller en ne payant que les modestes sommes demandées.

De retour à la maison, Mohammad sort de l'enveloppe une lettre lui expliquant que le montant joint devait lui permettre de démarrer son projet en achetant l'ancien caravansérail et en le transformant comme il l'avait imaginé.

Allez au Tak Taku, mangez parterre avec la famille de Mohammad, passez y la nuit, suivez ses conseils touristiques et repartez tout en sachant que les bénéfices de la maison sont entièrement versés pour la lutte contre le cancer du sein en Iran. La dame australienne a été emportée par un cancer du sein, après avoir eu heureusement le temps de constater que son geste était tombé dans de bonnes mains.


Toudeshk, le 2 avril 2018 / RT

Toroshroo / Daarkoob (Iran)