La formule magique

La Suisse applique une formule magique pour que les forces politiques soient dûment représentées au gouvernement fédéral, l'Eswatini en applique aussi une pour assurer l'unité des clans sous la couronne de son roi.

Infiniment et définitivement attaché à la démocratie directe helvétique, c'est de manière anecdotique et un peu légère que j'ai décidé d'écrire ces quelques lignes sur deux formules magiques ayant pour objectif d'assurer l'unité nationale. Je laisse les politologues et les sociologues s'y pencher scientifiquement.

J'aime à croire que la magie de la formule tient dans les deux pays au fait qu'elle n'est pas légale et encore moins écrite; ce qui n'empêche pas qu'on écrive et qu'on disserte abondamment à son sujet; en tous cas en Suisse, tout récemment encore, suite aux dernières élections fédérales qui ont quelque peu changé les rapports de force aux chambres (législatif); mais pas au gouvernement (exécutif). Championne de la politique des petits pas, d'autres diraient du consensus mou, d'autres encore du conservatisme, la Suisse a vu lors des dernières élections fédérales une vague verte déferler sur les travées de la chambre basse de son législatif. Cependant, forte de sa majorité préservée, la droite  n'a pas voulu ouvrir aux écologistes l'accession au Conseil fédéral, l'exécutif. La formule magique, consistant à faire en sorte que les principales forces politiques du parlement soient représentées au gouvernement, n'a pas été remise en question; mais son application peut connaître un décalage d'une ou plusieurs législatures entre les changements des rapports des forces politiques au sein du législatif et leur répercussion au sein de l'exécutif. Les tenants bourgeois du pouvoir majoritaire n'ont pas surpris en prétextant que la stabilité de la formule pouvait l'emporter temporairement sur la magie. Tous les grands partis politiques de Suisse, de droite comme de gauche, ont du attendre avant d'obtenir une représentation à l'exécutif fédéral conforme aux forces élues au législatif.

En Eswatini, précédemment Swaziland, la formule magique consiste, pour le roi, à prendre des épouses dans les divers clans du peuple Swazi. S'agissant d'une monarchie absolue, j'imagine que le roi n'entend pas ouvrir la discussion par médias interposés sur la formule magique. Comme c'est écrit dans le Guide touristique officiel d'Eswatini: "The king… is expected to choose wives from various clans to ensure national unity.".

On a vu plus haut que l'application de la formule magique pouvait souffrir en Suisse d'une certaine souplesse. En d'autres termes, l'élection du gouvernement par l'Assemblée fédérale, les deux chambres réunies du législatif, peut temporairement jouer à contre-temps du suffrage populaire.

En Eswatini, l'application de la formule magique commence par l'accession du Roi au trône. Elle dépend du statut de sa mère. Celle-ci est nommée Reine-Mère par le Conseil Royal constitué au décès du roi. Le roi est toujours issu du clan Dlamini; au contraire de la Reine-Mère qui ne peut pas l'être. En outre, le futur roi ne peut être que le fils unique et non marié de la Reine-Mère. Encore mineur, le futur roi porte le titre de Prince et la Reine-Mère officie en tant que Régente, jusqu'à ce que le Prince couronné devienne roi, le "Ngwenyama" en siSwati ou encore le Lion. La Reine-Mère est la "Ndlovukazi" en siSwati ou encore l'Eléphante. Ayant accédé au rang de roi, il est attendu du monarque qu'il prenne femmes dans les divers clans, pour assurer l'unité nationale. Le pouvoir absolu de la couronne, plutôt qu'une monarchie constitutionnelle et la polygamie du régime suscitent de sérieuses réticences dans les sphères internationales. Elles pointent du doigt un droit des travailleurs très lacunaire et le non-respect de la liberté d'association.

Les formules magiques ne sont pas si magiques qu'on le voudrait, ni en Suisse, ni en Eswatini. Pour l'une c'est moins grave que pour l'autre.

Au demeurant, il est écrit dans le Guide touristique officiel 2019 d'Eswatini que les gens sont paisibles, amicaux et gentils. Je le confirme sans réserve. J'ajouterais détendus et hospitaliers, dans un paysage, de surcroît, splendide.


Prétoria, le 8 janvier 2020 / Renaud Tripet


Sources (y compris pour les photos):

- www.admin.ch

- Eswatini's Official Tourist Guide 2019 + www.thekingdomofeswatini.com

Kiki / Blick Bassy