Nos chroniques
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Grande enjambée
Cinquante ans après sa construction, l'arche de Saint-Louis (Gateway Arch) reste méconnue. Il s'agit pourtant d'une réalisation époustouflante qui symbolise admirablement l'histoire d'une ville surnommée "the gateway to the West", pour son rôle de plaque tournante joué lors de la grande migration du XIXème siècle. Le flux incessant des trains sur les voies ferrées qui l'entourent rappelle que St-Louis, située au confluent du Missouri et du Mississippi, est encore aujourd'hui très active.
Autrefois quatrième plus grande ville des Etats-Unis, ayant accueilli en 1904 l'Exposition universelle et les Jeux olympiques d'été, elle compte aujourd'hui quelque 360'000 habitants et fut considérée en 2010 comme la ville la plus dangereuse du pays. Plusieurs sociétés multinationales y possèdent néanmoins un siège comme Budweiser, Energizer, Ford, General Motor, McDonnell Douglas, Monsanto, Rent A Car ou encore Sabreliner.
Comme une semaine plus tôt à Chicago, nous avons été attirés lors de notre promenade dominicale au centre-ville par de la musique jouée en plein air. A Chicago ce fut l'occasion d'assister dans le cadre du festival annuel des musiques du monde à deux concerts marocains, d'Aziz Shamaoui et de Mahmoud Ahmed. En apportant un souffle enchanteur du Maghreb, ces deux artistes ont fait danser toute la communauté marocaine sur place. A St-Louis, plusieurs musiciens locaux nous ont gratifié de standards de blues dans un boeuf de matinée organisé à l'occasion des 100 miles cyclistes de la ville.
Nous avons parcouru le lendemain les quartiers administratifs et commerciaux pour faire connaissance avec la cité en semaine. La bonne surprise fut d'être embarrassés pour choisir un restaurant, tant ils sont nombreux et variés. Les cuisines de tous les continents concurrencent favorablement les enseignes habituelles de la cuisine bâclée américaine. Elles rappellent que St-Louis vit arriver autrefois dans ses gares et ses ports des migrants de tous horizons et de toutes couleurs. Il en résulte aujourd'hui une population particulièrement métissée; ce qui explique sans doute pourquoi il respire ici un air d'esprit combatif et créatif dont la grande arche édifiée en 1965 est aussi le témoin.
Mais revenons à cette époustouflante réalisation dont la forme en chaînette, outre la beauté équilibrée de sa courbe, présente le grand avantage de se porter elle-même en compression seule, sans exercer de forces écartant ou resserrant les jambes. Sa section triangulaire ajoute encore en finesse, en particulier quand on l'admire d'un de ses pieds. Cette architecture,pourtant très bien inspirée, n'a pas épargné à ses deux auteurs principaux, l'architecte Eero Saarinen et l'ingénieur mathématicien Hannskarl Bandel, de se confronter aux nombreux détracteurs du projet, comme ceux qui lui trouvaient une connotation fasciste et ceux qui pensaient que les pouvoirs publics ne devaient pas s'impliquer.
Comme toutes les réalisations de cette ampleur, la conception, le financement, le contrôle des coûts ou encore les tiraillements des ressources humaines ont connu leurs lots d'aventures et de mésaventures; mais le résultat est aujourd'hui là pour donner raison à ceux qui ont pris les nombreux risques que suppose un tel projet. Je recommande en particulier le documentaire officiel sur la construction; en montrant les deux gigantesques grues se glisser sur la face extérieure des deux jambes pour hisser les éléments de construction, le film nous fait vaciller sur notre siège.
Avec ses 192 m d'élévation et d'enjambée, l'arche accueille aujourd'hui plus de 4 millions de visiteurs par an. La plupart monte à son faîte au moyen d'un étonnant tram, c'est son nom officiel, qui est à lui seul une curiosité qui vaut le déplacement. Il est composé d'un train de cellules où cinq personnes peuvent prendre place. Il part suspendu à un rail, il monte le long des jambes accroché au rail de côté et il arrive au sommet, posé sur les mêmes rails. Les cellules sont enfermées dans une coque à l'intérieur de laquelle elles restent verticales, alors que la coque pivote autour du rail. Je renvoie aux schémas disponibles sur internet avec le documentaire de la construction et de multiples photos.
St-Louis a osé se projeter dans l'avenir en érigeant une arche qui aura coûté en 1965 13,5 millions de dollars, quelque 100 millions de dollars d'aujourd'hui ou 280 dollars par personne, pour un projet culturel ayant pour vocation de porter le destin de la ville. Que c'est admirable, quelle belle confiance dans l'avenir, quelle réussite!
RT, à suivre…
20.09.15
St. Louis Blues