Nos chroniques
Nos chroniques
Ruée vers les ors du Madeira
Ruée vers l'or bleu que sont les eaux du Rio Madeira (3'200 km de longueur et 1,4 mia l/m, soit le 6ème fleuve de la planète en volume); ruée vers les ors respectivement orange et gris des énormes quantités de grain et de bois transportés sur son cours; mais surtout ruée vers l'or jaune des milliers de chercheurs de pépites qui draguent le Madeira jour et nuit.
Seuls ou en groupe, comme sur la photo de gauche, ils pompent le limon du Madeira dans un vacarme de motopompe et d'eau projetée sur des trémies en bois ou en métal qui ne cesse pas. Et qu'écrire de la fumée noire crachée par des moteurs abreuvés avec un carburant de médiocre qualité? Espérons que le fleuve leur rapporte de quoi justifier leur fièvre; mais les misérables baraques dans lesquelles vivent leurs familles au bord de l'eau, quand elles ne doivent pas se contenter d'un minuscule espace sur la dragues elles-mêmes, incite à croire que la fièvre de l'or sévit toujours en Amazonie.
Bref, la fameuse BR-319, réputée une des routes les plus difficiles qui soit, n'étant pratiquement pas franchissable à cause du haut niveau des eaux encore à cette époque, de la fragilité des ponts et des zones profondément boueuses, nous avons opté pour une remontée du Rio Madeira de Manaus à Porto Velho sur une barge, vivant dans le camping-car au milieu des marchandises (v. photo du centre). Bien nous en a pris, tellement la croisière de six jours fut belle et reposante. Au rythme poussif d'un pousseur dont le six cylindres accusait 27 ans, nous avons vécu une croisière seuls à la proue de la barge, dans une cabine-camping-car avec fenêtres sur trois côtés, au plus près des chercheurs d'or et des pêcheurs indiens vivant le long du fleuve. Pour une fois, nous avions l'impression de pouvoir regarder sans être vus comme des touristes intrusifs et voyeurs.
De plus, le commandant et ses quatre membres d'équipage, un co-pilote, un motoriste, un apprenti marinier et une cuisinière nous ont accueillis avec une gentillesse qui nous a définitivement effacé de la mémoire la piètre prestation du Grande Cameroon de Grimaldi. Alors qu'il était prévu que nous vivions sur notre barge six jours en totale autonomie, le commandant nous a prié dès le premier jour de manger à sa table. Bon, il n'était pas question de refuser une telle hospitalité; alors nous avons passé de la barge au pousseur six fois par jour dans des conditions de sécurité indescriptibles et nous avons bu l'eau et mangé la cuisine du bord, contrairement à tous les conseils donnés aux voyageurs venant de l'Europe aseptisée. Résultat: aucun problème digestif, mais beaucoup de plaisir à manger du tambaqui, de la tortue, des bananes, des oranges et des fèves de cacao achetés directement aux riverains abordant notre convoi avec leurs pirogues.
Et comme il arrivait à Renaud de rendre aux escales quelques menus services de manutention sur le pont de la barge, il a appris à décharger une voiture en balançoire sur deux planches. L'apprentissage s'est résumé à décharger une voiture, dont le propriétaire n'était pas là pour accueillir son véhicule, en essayant de ne pas passer à l'eau. Ce n'est pas difficile, si les planches ne cèdent pas; mais il y a quarante ans, il est quand même tombé dans le Nil au moment de décharger sa moto sur une planche à Ouadi-Halfa. Alors stress...
Nous n'aimerions pas finir cette chronique sans tirer un gros coup de chapeau aux dockers qui chargent et déchargent sur la tête des sacs de grain ou de ciment de 50 kg pendant des heures, chaussés de nus-pieds, sans boire une goutte, se donnant de la force en tirant à tour de rôle sur une cigarette qu'ils se partagent. Il sont beaux, jeunes et musclés; mais ils ne peuvent qu'être jeunes et musclés; ils ne seront jamais ni riches ni âgés. Bravo les dockers !
A suivre...
13.07.14
Every Grain Of Sand
Bob Dylan