Nos chroniques
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Où le diable a perdu son poncho
Lonely Planet écrit que certains des meilleurs vins d’Argentine sont produits à la Finca Colomé; mais il écrit aussi que la bodega est située «où le diable a perdu son poncho», au diable vauvert. Où donc pour les intéressés? - dans les Valles Calchaquies qui s’étendent entre Cafayate et Salta. Les descendants des indiens diaguita, connus pour avoir opposé à l’époque une résistance des plus farouches aux colons espagnols, exploitent aujourd’hui au mieux les cours d’eau de la vallée principale et des vallons perpendiculaires pour irriguer les champs qu’ils cultivent ou qu’ils consacrent à l’élevage de bovins et de caprins. Les exploitations sont modestes et les habitats en briques de terre et de paille sont rudimentaires. - Sans un entretien permanent de la toiture, les pluies estivales liquéfient les murs en peu de temps. Les maisons abandonnées retournent rapidement à l’état de terre. - Mais la qualité des cultures et le soin apporté autour des habitations révèlent une population qui défend toujours sa terre avec ferveur, même si la vie semble très dure. Nous avons noté qu’à l’instar d’autres régions reculées d’Argentine, l’électricité est apportée par le gouvernement au moyen de petits panneaux solaires domestiques fort bien installés plutôt qu’en tirant de coûteuses lignes (les poteaux ne résistent pas au sol mouvant et régulièrement emporté par les pluies).
Outre le Torrentés, la finca d’où le diable a perdu son poncho, soit dit en passant de Colomé, produit aussi un excellent Malbec, autre cépage argentin, mais rouge. Elle démontre que judicieusement vinifiés, les vins biologiques n’ont rien à envier à ceux qui ne s’entravent pas des exigences du bio. Nous avons en tous cas vivement apprécié le Torrentés que nous avons emporté après la visite de l’encavage, même s’il ne vaut pas notre Chasselas de Neuchâtel. La bodega vinifie aussi du Pinot Noir, mais comme celui du Valais, il souffre de trop de soleil. Il ne vaut pas non plus le Neuchâtel. A moins que ce soit notre palais qui aie la nostalgie du pays...
Grâce à son propriétaire suisse Donald M. Hess, la finca abrite encore un autre trésor, pas pour les papilles gustatives celui-ci, mais pour le plaisir des yeux. Un musée exclusivement consacré à neuf réalisations du plasticien californien de la lumière James Turrell. Ses installations nous emmènent dans des jeux de lumières claires et obscures, tendres et vives, qui contrastent admirablement avec l’éclat multicolore et éblouissant du paysage minéral qui s’inscrit en décor de fond des Valles Calchaquies. En plus, la visite se déroule seulement en présence des quelques visiteurs qui ont accepté de braver sur une cinquantaine de kilomètres le ripio des plus cassant de la piste. Un indien Calchaqui rompu à l’art moderne, ayant d’ailleurs voyagé en notre Helvétie, nous guide en douceur dans chaque installation, pour que nous en découvrions au mieux le sens donné par James Turrell. Encouragée, l’élite des indiens diaguita emmène son peuple au-delà de la vie lamentable confinée par d’aucuns en réserve, elle contribue à la modernisation de la culture du sol et de la culture des beaux-arts de ses descendants, même si, pour la plupart des touristes, les Valles Calchaquies se limitent aux vestiges archéologiques incas, à des habitations en adobe dont les devants évoquent l’architecture coloniale et à une agriculture artisanale.
A suivre...
PS La photo de droite est extraite de la plaquette James Turrell Museum, The Hess Art Collection at Colomé. C’est une photo coupée de l’oeuvre intitulée Alta Green 1968.
14.01.14
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