Nos Chroniques
Nos Chroniques
Après les castors les touristes
Le climat de la Terre de Feu la rend inhospitalière, sa position géographique la rend convoitée et ses beautés attirent le tourisme de plus en plus. Les migrations humaines se succèdent et se mélangent depuis des siècles, les unes pour en exploiter les supposées ressources, les autres pour en prendre le contrôle stratégique, d'autres pour essayer d'en préserver la faune et la flore, les dernières pour l'admirer.
En Terre de Feu comme ailleurs, ces migrations, d'aucuns écriraient invasions, se caractérisent presque toujours par leurs maladresses, pour ne pas écrire leurs massacres. Avec quelques décades de recul, l'histoire se charge d'apporter un éclairage plus ou moins objectif sur le déroulement des faits, mais il est toujours aussi difficile de conclure définitivement sur la rentabilité, le ratio coût/bénéfice de ces migrations. Il y a ceux qui se lamentent des coûts humains et écologiques extrêmement élevés, il y en a d'autres qui se félicitent des bénéfices sociaux et économiques, généralement très élevés aussi.
L'homo turisticus du genre auquel nous appartenons, fournisseur ou consommateur, agent de l'activité économique la plus importante jamais développée, se repaît abondamment des faits et des méfaits des migrations humaines, en Terre de Feu bien entendu aussi.
Tout devient attraction ou curiosité touristique avec le temps:
1.-la disparition des indiens Shelk'nam et Yamana, dont l'extermination a commencé au 16ème siècle avec les épidémies et les balles des européens (cf. le tristement célèbre chercheur d'or Julius Popper, mais aussi les propos racistes de Charles Darwin, heureusement démentis par Thomas Bridges) venus à la découverte et à la conquête de la Terre de Feu;
2.-les forêts d'alerces et de grands hêtres saccagées ainsi que les cours d'eau détruits par les castors introduits en 1946 par le Ministère de la Marine argentine pour développer vainement le commerce de leur fourrure;
3.-la déforestation massive depuis la création des estancias à la fin du 19ème siècle pour faire paître moutons et bovins;
4.-la construction du bagne d'Ushuaia pour y interner les criminels les plus dangereux et les opposants politiques - on disait alors les anarchistes - les plus virulents de toute l'Argentine.
Certes, l'Argentine et le Chili démontrent une volonté féroce de faire connaître l'histoire de ces migrations et d'en tirer quelques leçons. C'est en particulier visible au niveau de la protection des sites naturels et du traitement des déchets. Mais les multiples expositions ou les nombreuses visites guidées sur la vie des Shelk'man et des Yamana se limitent trop souvent à présenter l'existence relativement primitive de ces populations et à expliquer leur disparition par la contamination épidémique au contact des européens. Le génocide dont ils ont surtout été les victimes est quasiment toujours occulté.
Les sites envahis par les castors sont devenus des attractions touristiques qui se bornent à présenter les constructions inouïes dont ils sont capables et à expliquer la nécessité d'en réguler les populations. Mais la fragilité des grands équilibres sur lesquels reposent la faune, la flore et les ressources naturelles ainsi que la mauvaise habitude de l'homme de rompre ceux-ci un peu à la légère quand il poursuit des objectifs stratégiques d'approvisionnement, de communication ou de développement économique ne sont jamais abordés.
La leçon s'arrête où elle devrait commencer; alors que l'homo turisticus n'a jamais été autant avide d'apprendre qu'aujourd'hui.
A suivre...
PS La 1ère photo montre un barrage de castor en Terre de Feu, la 2ème l'emprise du développement d'Ushuaia sur la forêt et la 3ème un renard doré de Terre de Feu qui s'installe aisément à proximité des campeurs.
24.11.13
Is anything wrong ?